Quand Matthias a vu le ciel
Je l’ai rencontré pour la première fois quelques semaines seulement avant mon départ, cela dans le cadre des activités d’une association promouvant la protection du milieu aquatique et le développement de la navigation électro-solaire.
Le courant avait passé, ma curiosité avait été éveillée au plus haut point par nos premiers échanges; il m’était dès lors impossible de faire autrement, je devais passer le voir pour l’entendre plus avant quant au monde de l’économie d’énergie ainsi qu’aux alternatives d’origine renouvelable pour en produire.
Mais ça, c’était avant que de le rencontrer. Au terme de la journée et de la soirée passées à ses côtés ainsi qu’avec Giannina, sa compagne, je suis reparti de St-Brais complètement retourné par leurs propos, leurs réalisations, leur philosophie de vie.
A 21 ans, Matthias Wegmann est parti dans un désert, pour une traversée loin de l’humanité. Or, à cette époque déjà (1972), impossible d’y apprécier le silence total, les avions déchirant le paysage (in)sonore de ce milieu pourtant isolé.
A 28 ans, et cela sans aucun artifice régulièrement connu pour permettre d’y arriver, il a « vu le ciel », a pu « être ainsi en communication directe avec les étoiles et les énergies de la Terre ». Suite à cette expérience, il prend deux décisions capitales pour la suite de son existence. La première; il ne volera plus jamais dans un oiseau de métal. La seconde; il ne fera pas de fric dans sa vie, mais autre chose.
Sa nouvelle quête, qui prendra plusieurs facettes, gravitera désormais autour d’une seul idée: préserver les énergies. Toutes les énergies qui existent sur Terre. Pas seulement celles servant à nous mouvoir ou à nous chauffer mais aussi celles de l’amour ou encore celles des ondes émises par la nature et les animaux : « Depuis que j’ai vécu cette expérience, je ne pouvais tout simplement plus ne pas faire attention à la préservation de notre planète, à ses ressources et à ses habitants, aussi microscopiques soient-ils. Tu sais, le plus beau métier du monde, c’est de veiller à économiser l’énergie, sous toutes ses formes. »
Ancien enseignant à l’école Steiner, à Bâle, la proximité du Rhin l’a fait développer et construire lui-même des bateaux à propulsion électro-solaire, parfois avec ses élèves. Un besoin vital d’utiliser ses mains, pour comprendre, pour façonner: « On est sur Terre pour la toucher, la sentir, pas pour faire de la paperasse! » A la clé, une bonne dizaine d’unités dont certaines ont pulvérisé des records de vitesse avec, en prime, des consommations d’énergie inimaginablement basses. Concrètement? Par exemple, un bateau de 2 tonnes, propulsé à plus de 12km/h par un moteur uniquement alimenté par 2000W de panneaux solaires (7km/h avec 500W). Inouï. Tout comme son bateau à pédales – pour 12 matelots-cyclistes – qui lui aura permis de parcourir plus de 300km avec ses élèves en moins d’une semaine. Avec de telles performances, comment se fait-il qu’il n’ait pas réussi à mieux vivre de cette activité précise? « Tu sais, Baptiste, le marketing ça me dépasse. Si les gens ne comprennent pas à quoi sert ce que je fais, je ne veux pas les forcer à acheter le fruit de mon travail. »
Lorsqu’il a repris un ancien petit hangar à St-Brais, au milieu des champs, pour s’y installer définitivement, son fournisseur d’électricité lui demandait plusieurs dizaines de milliers de francs pour qu’il soit raccordé au réseau électrique. Qu’à cela ne tienne, il fera sans. Giannina et Matthias sont donc non seulement autonomes mais vivent carrément en autarcie électrique. Il fait grand beau? Vite, la machine à laver est enclenchée! Le ciel est complètement couvert, gris et morne? Eh bien, l’aspirateur attendra quelque temps avant que de pouvoir tourner. Voiturette électrique dont les batteries servent de réservoir pour les appareils de la maison qui en ont besoin, récupération de l’eau de pluie, toilettes sèches, piscine naturelle, éolienne, potager, bref un véritable joyau de préservation, niché au milieu d’une verdure intense.
Pour revenir au monde du cycle, il faut savoir qu’en 1985, Matthias a construit un vélo à assistance électrique, sans doute le premier en Suisse. Plus que l’aide au pédalage en soi, c’était surtout la fonction de récupération d’énergie dans les descentes (dynamo) qui l’intéressait car ces watts heures lui permettaient de moins s’époumoner lors de la prochaine montée. Depuis, différents modèles lui ont passé entre les pieds avec, à chaque fois qu’ils étaient conçus pour remplacer une voiture, un moteur électrique aux performances éblouissantes.
Le vélomobile? A peine étais-je arrivé qu’il a voulu l’essayer. Plus de 40km quand même! C’est que l’engin lui plaît, lui a toujours plu. En construire un, c’était précisément l’un de ses rêves. Nous avons donc beaucoup discuté technique et son retour sur la course d’essai de l’Alleweder m’a été extrêmement précieux. Le carnet des améliorations s’est ainsi vu noircir de quelques lignes supplémentaires. Bon sang, déjà qu’il est fichtrement performant cet engin, que cela va-t-il donner après, une fois que nous l’aurons davantage peaufiné? Grisant.

Matthias: « Nous, soixante-huitards, imaginions vraiment un autre monde. Je suis heureux de voir que nous ne sommes pas les seuls. »
– Matthias, j’ai encore une dernière question. Pourquoi ça ne prend pas, cette mobilité douce, particulièrement en Suisse romande?
– Généralement parce que l’on manque de courage politique; on n’ose pas sortir le trafic motorisé de la ville, de peur de ne pas être réélu la fois d’après. Tu sais, en moyenne, il faut une génération pour qu’une idée paraissant folle au départ soit ensuite considérée comme étant la norme. Il faut donc continuer notre lutte, inlassablement, sans jamais nous arrêter car les modèles qu’idéalisent beaucoup de gens ne sont pas intelligents; pense seulement aux lourds 4×4 privés circulant en ville.
– Ok, mais pourquoi la voiture est-elle encore plus souveraine chez les Romands qu’ailleurs en Suisse?
– Hum… Parce qu’ils sont des Romains. Tu sais, c’est ce peuple qui, le premier, a ouvert la Terre pour y placer des chemins en dur. Ne dit-on d’ailleurs pas que ces derniers mènent tous à Rome? Et l’histoire nous a montré que, finalement, les Romains ne sont pas allés tellement au-delà du Rhin. Les Alémaniques sont des descendants des Celtes, une civilisation qui, elle, a très longtemps conservé un rapport étroit à la nature. A l’occasion, prends le temps d’enlacer un arbre et tu expérimenteras alors très concrètement tout ce dont nous avons parlé ensemble aujourd’hui. »
C’est promis, Matthias, je le ferai.