Le boguet et les jeunes

Pour ce soir-là, j’avais demandé à Jean-Pierre de m’héberger. Il habite Courtelary, un village mondialement connu puisqu’il y est fabriqué une barre au chocolat divinement délicieuse. Comme je dormais la veille à une quarantaine de km, il n’y avait qu’un saut de puce à faire ce fameux vendredi; va bien.

Mais c’était sans compter la rencontre s’étant organisée entretemps sur Lausanne ce même jour au matin. Bah, tant pis, voyons plus grand et effectuons un bond de sauterelle; St-Brais – Lausanne – Courtelary, soit 260km.

Mais quelle idée… Vent, trombes de pluie, température vraiment fraîche, une horreur. Mon seul répit lors de ce trajet dantesque aura été la brève pause de midi pour redonner un peu de vie aux accumulateurs.

Batteries rechargées auprès du petit panda. Ca ne peut qu'être du courant vert, non?

Batteries rechargées auprès du petit panda. Ca ne peut qu’être du courant vert, non?

\Indispensable car je n’étais pas parti le matin à pleine charge et le soleil ne m’ayant été d’absolument aucun secours ce jour-là, je ne pouvais faire le trajet complet sans ce coup de pouce salutaire. Je suis donc arrivé chez Jean-Pierre à 20h30, soit avec 2 heures de retard. Désolé, sincèrement.

Corinne et lui, ainsi que Quentin, Cyril et Etienne forment une famille recomposée extrêmement joyeuse. Lors du repas, encore plus fameux que le chocolat susmentionné, je profite d’interroger les 3 jeunes qui j’ai la chance d’avoir près de mon calepin. En quoi le vélo n’est-il pas assez attractif pour leurs déplacements? Pourquoi cette fascination pour le boguet (vélomoteur ou encore mobylette) parmi les jeunes?

Ils me répondent d’une seule voix: « Pour le mythe! Et aussi parce que ça ne coûte pas une fortune; à moins de CHF 1000.- pour une belle occasion, tu t’en sors sans problème. En comparaison avec un vélo électrique, c’est franchement moins cher. Enfin, parce qu’on peut le bricoler, en améliorer ses performances et le personnaliser. C’est ce qu’on aime le plus faire avec les vélomoteurs. »

Je les entends bien. Et sais aussi que souffle évidemment avec cet engin, le vent de la liberté. Les premières sorties dépassant les environs directs de la maison, les rentrées ne dépendant plus de la bonne volonté des parents et, pour certains garçons, les tours pétaradants emplis de l’espoir d’être remarqués par celles dont ils aimeraient tellement attirer l’attention.

Place ensuite aux essais, forcément nocturnes. Opérant une nouvelle fois, la magie n’en aura été que plus belle; ils sont conquis. Les parents aiment l’aspect brut, industriel et rétro-moderne de mon carrosse en tôle rivetée. Les jeunes? Eh bien, pour commencer… on ne les revoit plus. A chaque essai, ils partent un peu plus loin, plus longtemps; le plaisir au guidon est manifeste. L’autonomie leur parle, de même que les coûts insignifiants pour alimenter les batteries lorsque les jambes ne suffisent plus. Et, pour des bricoleurs comme eux, l’idée me traverse l’esprit qu’ils prendraient peut-être beaucoup de plaisir à monter, comme moi, un vélomobile acheté en kit. Quand j’y pense, je trouve cela fou; de 3 cartons arrivés par la Poste, j’ai aujourd’hui un véritable remplace-voiture. Bien entendu, que d’heures passées à le réaliser – avec des hauts et pas mal de bas – mais… ça roule! Et plutôt bien, même.

Je demande au trio fougueux la conclusion de la soirée: « C’est simple, tu dois absolument aller montrer cet engin dans les écoles, pour que les jeunes sachent que cela existe, qu’il y a des alternatives. »

Bien plus tard dans la nuit encore – autour de l’énième verre de l’amitié – mon copain me dit que tout cela le fait réfléchir: « Pas impossible que je lance une fois des panneaux solaires sur mon toit ». Tout sauf improbable aussi que cet amoureux des voitures ne lève désormais un peu plus le pied de l’accélérateur au volant de la sienne. Ou qu’il la prenne même moins souvent? Je sais que cela le travaille. Mais, chut!, je ne vous ai rien dit; le changement est tellement plus agréable et irrémédiablement effectif quand il est réfléchi, choisi, voulu par la personne plutôt qu’imposé par autrui.

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