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Bye Bye la Suisse!
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Retour sur les bancs de l’école
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Gare aux fausses bonnes idées
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Rue de l’Avenir
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Un motard inquiet
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Une famille sportive
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Le boguet et les jeunes
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Quand Matthias a vu le ciel
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Sans voiture
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Le trop-plein

Bye Bye la Suisse!

La fin du mois de mai approchant, il est temps de quitter le pays de départ.

Bien sûr, toutes les pistes de Suisse n’auront pas été explorées; tant d’initiatives visant à y développer la pratique au quotidien de la petite reine m’auront échappé. En même temps, la fenêtre pour effectuer ce voyage se refermant à la fin de l’été, le moment est venu de mettre d’autres chemins sous les roues de Souricette. La transition se fera en douceur. Ce sera la France voisine tout d’abord; même langue, certaines routes déjà empruntées par le passé, un point de chute familial m’y attendant dans quelques jours, bref ce n’est pas encore le grand saut. J’ai besoin d’y aller tout doucement. Quand l’on a toujours voulu avoir la maîtrise totale de la situation – douce illusion, en y repensant – dur, dur, du jour au lendemain, de se laisser porter par les événements, les surprises. Par la vie.

Sur la carte helvétique, plusieurs villes sont épinglées pour ne pas oublier d’y retourner plus tard. Berne et Zürich, dont j’entendrai parler en Belgique. Bâle, citée en exemple par les spécialistes qui seront rencontrés plus tard à Strasbourg. Ainsi que certaines autres cités trop rapidement traversées et pourtant si prometteuses.

Juste avant le passage de la frontière rhénane, en cette fin de semaine, je suis surpris par le nombre de familles à bicyclette que je croise; remorques, vélos d’enfants tractés ou libres, il y a beaucoup de jeunesse sur ces routes. Bien plus que dans les contrées que je connais mieux. A quoi cela tient-il? Infrastructures? Mentalités? En tous les cas, c’est à creuser.

180km effectués en ce dimanche 24 mai, dont le franchissement d’un col pas formidablement élevé mais offrant tout de même quelques passages plutôt raides. Et pourtant, au terme de cette première grande étape, le pack de batteries contient encore 1/3 de sa capacité. Le panneau solaire et la régénération moteur lors de chaque freinage s’allient pour recharger les accumulateurs. Mmmmh, ça va être intéressant tout ça.

Dans Lyss et ses alentours, l'espoir (re)naît.

Dans Lyss et ses alentours, l’espoir (re)naît.

Pas le Tibet, certes, mais au moins cette ville offre de la couleur.

Pas le Tibet, certes, mais au moins cette ville offre de la couleur.

Du côté de Bâle, quelques furtives images laissent deviner une meilleure place accordée à des mobilités plus douces et actives que le trafic motorisé. Il faudra y retourner, absolument.

Sens unique... sauf pour les vélos (et cyclomoteurs légers)!

Sens unique… sauf pour les vélos (et cyclomoteurs légers)!

Ou comment pacifier la circulation d'un quartier.

Ou comment pacifier la circulation d’un quartier.

Parfois, les habitants prennent les devants.

Parfois, les habitants prennent les devants.

Stationnement exemplaire: à proximité immédiate du logement et abritant sa monture des intempéries.

Stationnement exemplaire: à proximité immédiate du logement et abritant sa monture des intempéries.

Retour sur les bancs de l’école

Rendez-vous avait été pris le 18 mai dernier avec Jean-François Affolter, professeur à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD), en Suisse. Ce matin-là, il avait justement accordé un peu de temps à ses étudiants pour échanger avec moi autour du vélomobile. Ce dernier ainsi qu’une voiture électrique de marque allemande – présente, elle, dans le cadre d’un partenariat avec une fête de l’école – étaient donc à la disposition de ces futurs ingénieurs pour être testés. J’appréhendais un peu l’exercice car impressionné par le contexte et les compétences pour le moins pointues des jeunes que j’étais sur le point de rencontrer. Quelles allaient être leurs réactions? Avions-nous, mon ingénieur et moi, fait les bons choix? Le projet était-il aussi pertinent que je l’espérais?

Une dizaine d’entre eux ont essayé l’Alleweder et m’ont offert à chaque fois un retour extrêmement pointu sur leur expérience, le tout avec une bienveillance infinie en raison de mon statut de novice quant aux domaines de compétences qui sont les leurs. Ils ont immédiatement détecté les défauts de jeunesse (paramètres de l’assistance électrique), indiqué les améliorations qu’ils imaginaient utiles (siège coulissant et guidon plus large, notamment) et listé les points forts de l’engin (surtout le plaisir à le conduire, son originalité, ses performances, son confort et la protection qu’il offre contre les intempéries). Oui, à voir leur enthousiasme au sortir du vélomobile, ce dernier a désormais quelques fans supplémentaires.

Une partie des pilotes d'essai; merci à tous!

Une partie des pilotes d’essai du jour; merci à tous!

Evidemment, les performances de la voiture électrique ne les ont pas laissés de marbre non plus. Surtout sur le plan de l’accélération – expérience faite – tout bonnement époustouflante. Je profite d’ailleurs d’être le passager de Jean-François pour lui poser mes premières questions, un dialogue que nous terminerons ensuite autour d’un café.

Jean-François Affoler: "Le moteur électrique, c'est absolument fantastique!"

Jean-François Affoler: « Le moteur électrique, c’est absolument fantastique! »

Tout d’abord, que lui a inspiré l’essai de cette voiture survoltée?

« Sur le podium, je place le silence, l’accélération et, enfin, la régénération lors du freinage. Le tout est franchement bluffant. Tu sais, les véhicules électriques sont, de façon générale, extrêmement intéressants, cela en raison du rendement faramineux de leur moteur, avoisinant les 90%. Quand tu confrontes cette technologie avec les 20% (essence) ou 30% (diesel) de rendement des moteurs thermiques, la comparaison est cruelle. »

Je lui fais remarquer que le prix de ce bolide est lui aussi extraordinaire, avoisinant – selon les options retenues – les CHF 60’000.- au bas mot. Il abonde : « Oui, c’est vrai. Et n’oublie pas que le modèle que nous avons testé n’offre qu’environ 130km d’autonomie, ce qui effraie aussi beaucoup de clients potentiels. Maintenant, sachant que la moyenne suisse des distances journalières pour nos déplacements tourne autour des 40km, ce rayon d’action suffit tout de même pour 3 jours sans devoir nécessiter une quelconque recharge. »

Elargissant les perspectives, il poursuit: « Ce qui a le plus d’influence sur la consommation, hormis la vitesse, c’est la masse déplacée et les frottements que subit cette dernière. Donc, de toute façon, même si cette voiture est sur le bon chemin, elle n’est pas la bonne réponse car encore beaucoup trop lourde pour mouvoir souvent une seule personne à la fois. Maintenant, cela ne nous empêche pas d’agir aujourd’hui déjà. En effet, aussitôt que l’on doit se déplacer absolument en voiture, on peut sans difficulté aucune partir suffisamment à l’avance afin de pouvoir rouler plus lentement que si l’on devait le faire en étant pressé par le temps. J’ai fait l’expérience avec ma voiture (diesel) à plusieurs reprises sur l’autoroute; rouler à 115km/h au lieu de 120km/h me permet de voir ma consommation passer de 5,7l à 4,8l aux 100km. On parle donc de presque 1l/100km en moins pour une différence de seulement 5km/h! Maintenant, si l’on peut même supprimer les 4,8l… »

Que pense-t-il de l’idée de brûler à un seul endroit, pour en faire de l’électricité, tout le carburant consommé de façon parcellaire dans chaque véhicule motorisé? Il réfléchit rapidement, pose quelques chiffres sur la table et arrive à la conclusion suivante: « C’est tout sauf bête car une centrale thermique à cycle combiné permet de produire de l’électricité avec environ 60% de rendement. En comptant diverses pertes, retenons un 40% au final. Eh bien, on ferait donc tout simplement deux fois plus de km avec des voitures électriques alimentées ainsi plutôt que par des moteurs à essence individuels. Et cela sans compter les gains conséquents que l’on ferait de cette façon pour la planète en centralisant le lieu de pollution, donc en pouvant y piéger considérablement mieux les émissions nocives. »

Mais il tempère aussitôt: « Bon, si c’est pour faire deux fois plus de kilomètres ensuite, tout cela n’aura servi à rien. Tu sais, cela sonne un peu vieux réac’ de dire ça mais quand j’allais, dans ma jeunesse, trouver mes grands-parents, ils n’avaient pas tout ce que l’on possède aujourd’hui et ils ne me semblaient pas moins heureux. Dans les années ’60, nous étions dans les clous d’une société à 2000W. Aujourd’hui, toujours en Suisse, nous en sommes à 6000, et même 8000W si l’on tient compte de l’énergie grise que nous délocalisons en Chine. Et les USA, eux, oscillent actuellement entre 12’000 et 16’000W.

A qui la faute, alors? « Economiquement, nous sommes prisonniers de la croissance. Il faudrait un changement de paradigme; non seulement que nous réduisions notre consommation d’énergie mais que nous limitions même nos besoins. Or, par exemple, l’on refuse de voir la fin du pétrole. Prétendre que nous devons acheter moins, c’est prendre le risque d’être stigmatisé comme un tueur d’emploi. Quel politicien aura-t-il le courage de dire tout cela? Je suis inquiet quant à la tournure des événements quand j’entends par exemple – mais sans avoir pu vérifier la source – que la moitié du prix d’une voiture de CHF 60’000.- est dépensé en marketing. Ce serait la preuve irréfutable que nous possédons déjà tout ce dont nous avons besoin, et ce depuis longtemps déjà. Et, à toujours vouloir évoluer sur le plan technologique – pense seulement aux téléphones portables – l’humain risque d’y perdre et de ne voir se développer qu’une société idiote, incapable de regarder dehors plutôt qu’un écran.»

Cette discussion est passionnante; je suis venu voir un ingénieur et j’écoute un philosophe. D’ailleurs pourquoi avoir choisi cette filière technique? « J’ai suivi une formation en ingénierie dans l’idée de remplacer l’homme par des machines afin de permettre au premier d’avoir plus de temps libre à sa disposition, notamment pour qu’il soit plus souvent en vacances. Mon but était que nous soyons payés par les machines et non pas foutus à la porte par elles. In fine, tout le problème vient de la répartition du profit, scandaleusement inégal. »

Face à ce constat, comment tient-il le coup? Quel domaine représente, à ses yeux, la lumière au bout du tunnel?

« Sans hésitation aucune, le solaire! En Suisse, chaque année et pour chaque mètre carré de panneaux photovoltaïques (PV), notre astre nous envoie l’équivalent en énergie de 17l d’essence. Alors imagine ce que cela peut donner dans les innombrables régions aux conditions bien plus favorables encore. L’efficacité, par photosynthèse de la biomasse équivaut à environ 1,5%. Le solaire PV en est à 10 fois plus. Et, à occupation équivalente des surfaces de la Terre, la pose de panneaux solaires produisant de l’énergie pour des véhicules électriques permet de rouler 20 fois plus de kilomètres que des champs produisant, par biomasse, du carburant pour des voitures à moteur thermique. La mise en réseau des batteries ainsi qu’un maillage électrique « intelligent » (smart grid) permettraient d’améliorer l’efficacité énergétique dans des proportions significatives. Ce qui est fou, c’est qu’aux yeux de plusieurs, le solaire n’est simplement pas assez beau pour avoir envie d’en poser ; il est victime de son look. Mais comment se peut-il que l’on accorde autant d’importance au paraître? Même si le solaire devait être laid, ce qui reste encore à prouver, l’on doit parfois sacrifier la beauté pour l’efficacité. »

Gare aux fausses bonnes idées

A l’origine, ma participation à une conférence publique de Lucien Willemin au printemps 2013. Ce dernier, auteur de l’ouvrage En voiture Simone!, prône un message très intéressant quant à comment contenir/réduire nos émissions de CO2; utiliser tous nos objets le plus longtemps possible et, de fait, veiller à les réparer plutôt que les remplacer.

On l’aura compris, c’est l’énergie grise (E-grise) qui est ici visée, soit celle qui aura été nécessaire pour produire lesdits objets et, potentiellement, qui le sera encore pour les recycler et/ou détruire. Des plus petites jusqu’aux plus imposantes, le Neuchâtelois est convaincu que la pollution de notre environnement est considérablement plus importante lors des début et fin de vie des choses que nous acquérons, cela par rapport à leur période d’utilisation effective. Partant, il recommande de « prendre soin du crayon et l’utiliser jusqu’au bout, même s’il est rouge et que la mode passe au bleu, on s’en moque! On le garde et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas encore, ils trouveront peut-être ringard aujourd’hui, mais demain ils y viendront aussi. Il en va de même pour la voiture: il s’agit d’en prendre soin et de l’utiliser jusqu’au bout! » (En voiture Simone!, Ed. Gasser, 2013).

Succès de librairie, articles de presse, émissions de télévision et de radio (divers liens ici), les propos de Lucien Willemin ont été très largement diffusés en Suisse. Et, ce qui m’a interpellé, également critiqués par la place scientifique (notamment ici) et par plusieurs personnes ayant assisté à l’une de ses présentations (là, par exemple); cela essentiellement sur son volet mobilité, soit la voiture. D’aucuns ont effectivement contesté son hypothèse voulant que le conducteur d’un ancien 4×4 polluerait moins que celui au volant d’une voiture hybride de dernière génération.

Mais alors, qui croire? A quel saint se vouer? Comment « faire juste »?

Une seule solution. Interroger les spécialistes, par exemple des ingénieurs à la pointe dans ce domaine, cela afin de faire – partiellement, au moins – la lumière sur ce qui apparaît comment étant un peu plus compliqué que la dualité triviale du noir ou blanc.

C’est ainsi qu’est née mon envie de rencontrer les gens de la société Quantis, jeune pousse de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Envie redoublée suite à la lecture d’un article du journal helvétique Le Temps (éd. du 11.03.2014), intitulé de façon provocante « L’impossible écobilan d’une automobile » et dans lequel son directeur y explique notamment les principes de l’analyse de cycle de vie (ACV) qui peut être menée pour tout objet, ou presque.

Dans le courriel que je leur adressais quelques jours avant mon grand départ, outre les questions évoquées ci-dessus, je voulais également avoir leur opinion quant à une mobilité moins dommageable pour notre environnement et, plus égoïstement, savoir si mon vélomobile faisait sens, ou non, dans la multi-modalité des moyens de transport à notre disposition. Moins d’une heure après son envoi, ma demande recevait une réponse enthousiaste de Denis Bochatay, responsable du développement des activités de Quantis en Suisse romande et personne de référence sur la plupart des projets liés à la mobilité sur lesquels ils sont appelés à se pencher. Rendez-vous est pris à Lausanne, en un lieu choisi par mon interlocuteur lui permettant à la fois de venir à pied et offrant une plateforme adéquate pour essayer ensuite le vélomobile.

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Tout d’abord, que pense-t-il des propos de Lucien Willemin?

« Il a presque tout le temps raison. L’idée de limiter nos achats matérialistes et de chercher à conserver nos objets le plus longtemps possible, c’est une assez bonne ligne de conduite pour limiter notre impact sur la planète. Maintenant, cela dépend beaucoup de l’objet en question. Un exemple? Prenons le cas d’une ampoule à incandescence classique. Sa phase d’utilisation, estimée à environ 1000 heures, représente 95% de l’énergie totale qui aura été nécessaire pour la produire, l’employer et la détruire. Tu comprends aisément que si l’on en trouve une autre qui consomme nettement moins, il vaut mieux en changer plutôt que de conserver la première jusqu’à la fin de sa vie. »

Cette conversation me plaît déjà; c’est donc une problématique bien plus complexe que la réponse unique apportée par le conférencier que j’avais entendu. Bien, mais alors, qu’en est-il de la voiture? N’est-ce pas vrai qu’avec les années, elle n’a fait que prendre de l’embonpoint ? Le rapport poids/consommation ne s’est-il pas aggravé avec le temps?

« Oui et non. Les voitures ont effectivement grossi ces dernières années, même si les dernières statistiques nationales montrent que la tendance est peut-être en train de s’arrêter. Mais revenons aux propos de M. Willemin; tu auras constaté que, dans son livre, il prend l’exemple de la VW Golf GTI en démontrant qu’elle a pris 508kg pour seulement 0,7l/100km d’économie de carburant, cela en 6 générations. Or, ce n’est pas l’unique voiture qui est vendue en Suisse. Selon les seuls chiffres disponibles (source: Office Fédéral de l’Energie), il s’avère qu’en moyenne sur les 17 dernières années, la consommation du parc automobile suisse a diminué de 30% alors que le poids n’a augmenté que de 15%. Réalisons un simple calcul de poids, sorte d’ACV ultra simplifiée, avec une voiture de 1500 kg. Partons du principe qu’elle roule 200’000 km, et consomme 10l/100km (7kg/100km). Le poids total est donc 14’000 kg de carburant et 1500 kg de voiture, principalement des métaux, des textiles, de l’électronique, etc. Un facteur de 1 à 10 environ. Or, produire, transporter et brûler 1 kg de carburant a beaucoup plus d’impact environnemental que produire, transporter et recycler 0,1 kg d’un mélange de métaux, textiles et électroniques. Tout cela pour dire qu’il est souvent préférable de remplacer – et recycler ! – une vieille voiture consommant 10l/100km par une voiture neuve consommant moitié moins, même si celle-ci est un peu lourde. »

Denis est chouette, car il sait que je n’ai pas l’argent pour que sa société fasse une ACV complète de mon vélomobile – 2 à 3 jours de recherches et de calculs pour une évaluation selon 10 indicateurs – d’où cette dernière démonstration, reproductible grosso modo pour tous les véhicules. Et il n’a pas terminé: « Il faut encore savoir que, de la norme Euro3 (année 2000) à l’actuelle Euro6, certaines émissions polluantes ont été réduites jusqu’à 95% (diesel) pour les automobiles. Bien entendu, on ne peut pas forcer la petite grand-maman sans le sou à renoncer à sa voiture antédiluvienne. Mais, sinon, absolument tous les véhicules ne remplissant pas la norme Euro3 devraient être retirés immédiatement de la circulation, tant leurs émissions sont dangereuses pour notre santé. En revanche – et là, on pourrait s’entendre avec Lucien Willemin – le parc automobile remplissant la norme Euro6 devrait être usé jusqu’à la corde. »

Sa conclusion par rapport au message du Neuchâtelois? « Gare à l’idéologie. A force de vouloir faire simplissime, l’on devient simpliste, critiquable, critiqué. Le danger? En étant pris à revers en raison d’erreurs manifestes, l’ensemble de ton message peut être balayé par l’opinion publique. Et, potentiellement, cela peut décrédibiliser le mouvement écologiste. »

La mobilité de Denis? Dans Lausanne et ses alentours, quand ce n’est pas en transports publics, lui-même se déplace essentiellement à pied et à bicyclette. Il exploite à plein la multi-modalité à sa disposition; descente au travail avec un vélo qu’il a choisi pliable pour le transporter gratuitement lors du retour à son domicile via le métro, lui épargnant ainsi un déplacement lent et ardu. Son plus grand regret avec le remplacement de la célèbre « Ficelle » est justement que le nouveau métro n’ait pas été conçu comme un ascenseur à vélo: « Avec la topographie qui la caractérise, Lausanne, pour encourager la pratique du deux-roues, se doit d’offrir de véritables remonte-pentes! Les autorités publiques agissent dans le bon sens, mais beaucoup reste à faire. »

Le vélomobile? Il avait déjà très envie de l’essayer avant même de l’avoir vu. Alors, après quelques tours de roues, son sourire n’en était que plus élargi: « C’est bluffant, c’est génial! »

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Ok, chic, mais cet engin fait-il sens par rapport à la voiture? « Souviens-toi du calcul grossier que je t’expliquais tout à l’heure; poids et consommation. Donc, vu que tu dis que le vélomobile pèse environ 60kg en l’état et qu’il consomme l’équivalent de 0,1l/100km, c’est bien entendu un moyen intéressant pour remplacer une voiture lorsqu’on roule en solitaire. »

Mais alors, pourquoi la sauce ne prend-elle pas? Pourquoi voit-on en Suisse encore si peu de vélos utilisés au quotidien? « Parce que, chez nous pour l’instant, ce n’est pas un moyen de transport suffisamment rapide, facile, simple et surtout sûr pour être utilisé au quotidien par tout un chacun. Outre des infrastructures y dédiées et des solutions techniques pour les montées – comme évoqué avant – il faut aussi que les vélos soient stationnés à proximité immédiate des lieux où nous vivons et où nous nous rendons. Par exemple, un local vélo facile d’accès (pas au 2e sous-sol !) ou des douches sur le lieu de travail sont des petites choses très importantes pour faciliter la pratique du vélo. Notre grand problème, qui explique notamment le très fort taux de motorisation helvétique, c’est que l’on s’est diablement habitué au confort de la voiture; son économie d’efforts physiques, sa climatisation, sa radio, etc. Il faut rendre le vélo aussi agréable et facile à utiliser que ne l’est cette dernière. »

Pour terminer, il me parle d’Amsterdam, où il a été complètement épaté – pour aller du centre de la ville à sa périphérie à vélo – de n’avoir eu à poser le pied au sol que quelques rares fois. Il me propose de faire l’essai dans n’importe quelle ville en Suisse pour réaliser les différents niveaux de priorité qui sont donnés à ce mode de transport entre ces deux pays.

Oui, il me faut aller la voir cette ville si souvent citée en exemple. L’expérimenter concrètement, mettre des images sur les descriptions que l’on m’en a si souvent faites. Cela tombe bien, c’est justement prévu pour le mois de juillet. Je m’en réjouis déjà, ce d’autant plus que l’expérience se fera en famille, enfin réunie grâce à la pause scolaire estivale. Fantastique.

Un motard inquiet

Il venait juste de quitter son domicile pour aller faire son jogging, quand le passage du vélomobile l’a arrêté net, en pleine rue d’un quartier de Bevaix. Son étonnement était tel que j’ai choisi de ne pas simplement poursuivre ma route.

« C’est quoi votre machin? C’est génial ce truc! » commence-t-il.

Après ma brève présentation de l’Alleweder, il poursuit en m’expliquant qu’il est un motard qui n’ose presque plus sortir avec sa machine. La raison tient au manque de respect qu’il constate allant croissant sur les routes. Trop de frayeurs issues du trafic automobile, ce d’autant plus que les véhicules n’arrêtent pas de prendre de l’embonpoint selon lui. Il résume en invoquant la loi du plus fort comme principe désormais dominant sur les voiries. Son autre courroux? Les gros 4×4 qui se parquent n’importe comment, occupant souvent deux places disponibles ou même carrément hors-case, cela afin d’être au plus près de l’endroit où leurs conductrices – il trouve qu’il y a beaucoup de mamans dans ces engins-là – doivent faire une petite emplette.

Revenant au thème de la petite reine, Pierre Ponci m’explique qu’il est opposé aux vélos électriques. Ah bon? « Ben oui, parce que si tous les cyclistes s’y mettent, il faudra construire encore des centrales nucléaires! » Je me rends compte que je vais devoir vraiment creuser un peu la chose car cette remarque m’est souvent faite, au même titre que les dégâts causés à la nature en raison de la production des batteries ou des panneaux solaires. Chouette, plusieurs rencontres que je prévois de faire devraient justement me permettre de séparer le bon grain de l’ivraie. En même temps, j’ai déjà souvent discuté de cette problématique avec l’ingénieur qui a supervisé le volet technique de mon projet et, à chaque fois, il m’a dit la même chose: tout dépend d’où l’on part… bien entendu que si des piétons ou des cyclistes sans assistance se mettent à acheter des vélos électriques, autrement dit que cela devient un objet en plus dans le garage, c’est pas terrible. En revanche, si cette dernière acquisition permet de retirer définitivement, ou presque, une voiture de la route, la planète en sort gagnante.

Avec le Bevaisan, la discussion tourne ensuite autour des sources d’énergie et de la mobilité en général. Il me dit que, malheureusement, le lobby du pétrole est encore trop puissant. Il aime la nature, ça oui, mais moins les écolos qu’il estime souvent trop intégristes. Et les transports publics? « Essayez de faire Bevaix-Bôle avec et vous comprendrez pourquoi j’utilise ma voiture », me répond-il. «Et puis, c’est irréaliste de vouloir mettre tout le monde dans le train, il n’y a pas assez de place. Non, et vous savez, le vrai problème c’est l’éloignement des magasins par rapport à l’endroit où on vit. Regardez, si je voulais aller faire mes commissions à pied depuis ici, il me faudrait 30 minutes. Et, dans le coin, ça monte de partout, c’est donc très fatigant. »

A-t-il envie d’essayer mon vélomobile… électrique? Comme beaucoup de gens, il a tout d’abord peur de le casser, cela alors que j’entame à peine mon voyage. Ensuite, une fois à l’intérieur, il est ravi. Les quelques mètres qu’il effectue à son bord l’enchantent, définitivement. Un défaut peut-être? Il évoque l’accessibilité; « Je ne suis plus aussi souple que par le passé »rigole-t-il.

Pierre Ponci: "Pour aider à la sortie, il faudrait des poignées là-haut!"

Pierre Ponci: « Pour aider à la sortie, il faudrait des poignées là-haut! »

Un dernier conseil avant que je reprenne ma route? « Continuez d’écouter le monde comme vous le faites car sinon, à force de prendre les gens pour des cons, ils le deviennent. Mettez-la dans votre article, cette phrase, elle est bien! »

Une famille sportive

C’est un dimanche splendide. Un temps à prendre sa revanche après quelques jours d’une météo pour le moins capricieuse. C’est justement ce jour-là que le hasard a voulu que je croise la route de la famille Schmitt.

Ils sont beaux comme tout, colorés, casqués; oui, vraiment, ils ont fière allure. Précisément, ils ne traînent pas sur la route, ils pédalent. Elle, plutôt à l’arrière, me dit que c’est parce qu’elle n’est pas aussi sportive que son trio préféré. Moi, je crois plutôt que c’est pour veiller attentivement sur leurs deux juniors.

Une famille qui aime sortir, donc. Cela se sent aussi dans le plaisir qu’ils ont à échanger avec un cycliste de passage. L’intérieur, rester cloîtrés à la maison, ça n’est pas leur truc. Sont-ils d’accord de me parler un peu de leur mobilité?

Les deux enfants se rendent à l’école à pied, à environ 1km de la maison. Parfois, ils s’y rendent à vélo. Ils sont férus de sport, en général. Lui travaille sur plusieurs sites, tous à environ 30 minutes les uns des autres en voiture. Il utilise cette dernière à regret car, bien que sportif, il aimerait mais n’aurait pas le temps de le faire en deux-roues, ce d’autant plus qu’il faudrait se doucher à chaque fois; trop de temps perdu selon lui. Quant à elle, le lieu où ils habitent dans le Val-de-Ruz fait qu’il y a soit immédiatement une belle montée, soit il faudra en faire une tout aussi terrible après une descente initiale; le vélo est donc hors course.

Je me réjouis de ces remarques car elles ne sont pas, à mon sens, rédhibitoires. Les moteurs électriques et les batteries permettent aujourd’hui de compenser sans souci aucun la topographie caractéristique de notre pays. La technologie n’est plus le problème principal. De plus, le programme du vélomobile, pour autant que l’assistance électrique soit autorisée jusqu’à 45km/h, est idéalement conçu pour remplacer une voiture sur les distances dont il est justement fait mention ici.

Outre le dénivelé et le temps supplémentaire qu’implique le recours au vélo traditionnel pour se déplacer, quels autres inconvénients voient-ils à la pratique de la bicyclette autour de chez eux?

« Les conditions climatiques; c’est clairement moins rigolo avec la pluie ou la neige. Mais, plus encore, la vitesse  excessive des voitures rencontrées. Le pire de tout? Les dépassements dangereux, aussi bien entre voitures lorsque l’on arrive en face à vélo ou quand l’on nous serre au bord de la route. C’est aussi incompréhensible qu’effrayant. »

Ils trouvent le vélomobile rigolo et très confortable mais sont quelque peu inquiets quant à sa visibilité par le trafic automobile. Lui serait intéressé à le voir homologué. Comme c’est justement mon intention, peut-être nos routes se croiseront-elles à nouveau? Ce serait en tout cas pour mon plus grand plaisir.

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Le boguet et les jeunes

Pour ce soir-là, j’avais demandé à Jean-Pierre de m’héberger. Il habite Courtelary, un village mondialement connu puisqu’il y est fabriqué une barre au chocolat divinement délicieuse. Comme je dormais la veille à une quarantaine de km, il n’y avait qu’un saut de puce à faire ce fameux vendredi; va bien.

Mais c’était sans compter la rencontre s’étant organisée entretemps sur Lausanne ce même jour au matin. Bah, tant pis, voyons plus grand et effectuons un bond de sauterelle; St-Brais – Lausanne – Courtelary, soit 260km.

Mais quelle idée… Vent, trombes de pluie, température vraiment fraîche, une horreur. Mon seul répit lors de ce trajet dantesque aura été la brève pause de midi pour redonner un peu de vie aux accumulateurs.

Batteries rechargées auprès du petit panda. Ca ne peut qu'être du courant vert, non?

Batteries rechargées auprès du petit panda. Ca ne peut qu’être du courant vert, non?

\Indispensable car je n’étais pas parti le matin à pleine charge et le soleil ne m’ayant été d’absolument aucun secours ce jour-là, je ne pouvais faire le trajet complet sans ce coup de pouce salutaire. Je suis donc arrivé chez Jean-Pierre à 20h30, soit avec 2 heures de retard. Désolé, sincèrement.

Corinne et lui, ainsi que Quentin, Cyril et Etienne forment une famille recomposée extrêmement joyeuse. Lors du repas, encore plus fameux que le chocolat susmentionné, je profite d’interroger les 3 jeunes qui j’ai la chance d’avoir près de mon calepin. En quoi le vélo n’est-il pas assez attractif pour leurs déplacements? Pourquoi cette fascination pour le boguet (vélomoteur ou encore mobylette) parmi les jeunes?

Ils me répondent d’une seule voix: « Pour le mythe! Et aussi parce que ça ne coûte pas une fortune; à moins de CHF 1000.- pour une belle occasion, tu t’en sors sans problème. En comparaison avec un vélo électrique, c’est franchement moins cher. Enfin, parce qu’on peut le bricoler, en améliorer ses performances et le personnaliser. C’est ce qu’on aime le plus faire avec les vélomoteurs. »

Je les entends bien. Et sais aussi que souffle évidemment avec cet engin, le vent de la liberté. Les premières sorties dépassant les environs directs de la maison, les rentrées ne dépendant plus de la bonne volonté des parents et, pour certains garçons, les tours pétaradants emplis de l’espoir d’être remarqués par celles dont ils aimeraient tellement attirer l’attention.

Place ensuite aux essais, forcément nocturnes. Opérant une nouvelle fois, la magie n’en aura été que plus belle; ils sont conquis. Les parents aiment l’aspect brut, industriel et rétro-moderne de mon carrosse en tôle rivetée. Les jeunes? Eh bien, pour commencer… on ne les revoit plus. A chaque essai, ils partent un peu plus loin, plus longtemps; le plaisir au guidon est manifeste. L’autonomie leur parle, de même que les coûts insignifiants pour alimenter les batteries lorsque les jambes ne suffisent plus. Et, pour des bricoleurs comme eux, l’idée me traverse l’esprit qu’ils prendraient peut-être beaucoup de plaisir à monter, comme moi, un vélomobile acheté en kit. Quand j’y pense, je trouve cela fou; de 3 cartons arrivés par la Poste, j’ai aujourd’hui un véritable remplace-voiture. Bien entendu, que d’heures passées à le réaliser – avec des hauts et pas mal de bas – mais… ça roule! Et plutôt bien, même.

Je demande au trio fougueux la conclusion de la soirée: « C’est simple, tu dois absolument aller montrer cet engin dans les écoles, pour que les jeunes sachent que cela existe, qu’il y a des alternatives. »

Bien plus tard dans la nuit encore – autour de l’énième verre de l’amitié – mon copain me dit que tout cela le fait réfléchir: « Pas impossible que je lance une fois des panneaux solaires sur mon toit ». Tout sauf improbable aussi que cet amoureux des voitures ne lève désormais un peu plus le pied de l’accélérateur au volant de la sienne. Ou qu’il la prenne même moins souvent? Je sais que cela le travaille. Mais, chut!, je ne vous ai rien dit; le changement est tellement plus agréable et irrémédiablement effectif quand il est réfléchi, choisi, voulu par la personne plutôt qu’imposé par autrui.

Quand Matthias a vu le ciel

Je l’ai rencontré pour la première fois quelques semaines seulement avant mon départ, cela dans le cadre des activités d’une association promouvant la protection du milieu aquatique et le développement de la navigation électro-solaire.

Le courant avait passé, ma curiosité avait été éveillée au plus haut point par nos premiers échanges; il m’était dès lors impossible de faire autrement, je devais passer le voir pour l’entendre plus avant quant au monde de l’économie d’énergie ainsi qu’aux alternatives d’origine renouvelable pour en produire.

Mais ça, c’était avant que de le rencontrer. Au terme de la journée et de la soirée passées à ses côtés ainsi qu’avec Giannina, sa compagne, je suis reparti de St-Brais complètement retourné par leurs propos, leurs réalisations, leur philosophie de vie.

A 21 ans, Matthias Wegmann est parti dans un désert, pour une traversée loin de l’humanité. Or, à cette époque déjà (1972), impossible d’y apprécier le silence total, les avions déchirant le paysage (in)sonore de ce milieu pourtant isolé.

A 28 ans, et cela sans aucun artifice régulièrement connu pour permettre d’y arriver, il a « vu le ciel », a pu « être ainsi en communication directe avec les étoiles et les énergies de la Terre ». Suite à cette expérience, il  prend deux décisions capitales pour la suite de son existence. La première; il ne volera plus jamais dans un oiseau de métal. La seconde; il ne fera pas de fric dans sa vie, mais autre chose.

Sa nouvelle quête, qui prendra plusieurs facettes, gravitera désormais autour d’une seul idée: préserver les énergies. Toutes les énergies qui existent sur Terre. Pas seulement celles servant à nous mouvoir ou à nous chauffer mais aussi celles de l’amour ou encore celles des ondes émises par la nature et les animaux : « Depuis que j’ai vécu cette expérience, je ne pouvais tout simplement plus ne pas faire attention à la préservation de notre planète, à ses ressources et à ses habitants, aussi microscopiques soient-ils. Tu sais, le plus beau métier du monde, c’est de veiller à économiser l’énergie, sous toutes ses formes. »

Ancien enseignant à l’école Steiner, à Bâle, la proximité du Rhin l’a fait développer et construire lui-même des bateaux à propulsion électro-solaire, parfois avec ses élèves. Un besoin vital d’utiliser ses mains, pour comprendre, pour façonner: « On est sur Terre pour la toucher, la sentir, pas pour faire de la paperasse! » A la clé, une bonne dizaine d’unités dont certaines ont pulvérisé des records de vitesse avec, en prime, des consommations d’énergie inimaginablement basses. Concrètement? Par exemple, un bateau de 2 tonnes, propulsé à plus de 12km/h par un moteur uniquement alimenté par 2000W de panneaux solaires (7km/h avec 500W). Inouï. Tout comme son bateau à pédales – pour 12 matelots-cyclistes – qui lui aura permis de parcourir plus de 300km avec ses élèves en moins d’une semaine. Avec de telles performances, comment se fait-il qu’il n’ait pas réussi à mieux vivre de cette activité précise? « Tu sais, Baptiste, le marketing ça me dépasse. Si les gens ne comprennent pas à quoi sert ce que je fais, je ne veux pas les forcer à acheter le fruit de mon travail. »

Lorsqu’il a repris un ancien petit hangar à St-Brais, au milieu des champs, pour s’y installer définitivement, son fournisseur d’électricité lui demandait plusieurs dizaines de milliers de francs pour qu’il soit raccordé au réseau électrique. Qu’à cela ne tienne, il fera sans. Giannina et Matthias sont donc non seulement autonomes mais vivent carrément en autarcie électrique. Il fait grand beau? Vite, la machine à laver est enclenchée! Le ciel est complètement couvert, gris et morne? Eh bien, l’aspirateur attendra quelque temps avant que de pouvoir tourner. Voiturette électrique dont les batteries servent de réservoir pour les appareils de la maison qui en ont besoin, récupération de l’eau de pluie, toilettes sèches, piscine naturelle, éolienne, potager, bref un véritable joyau de préservation, niché au milieu d’une verdure intense.

Pour revenir au monde du cycle, il faut savoir qu’en 1985, Matthias a construit un vélo à assistance électrique, sans doute le premier en Suisse. Plus que l’aide au pédalage en soi, c’était surtout la fonction de récupération d’énergie dans les descentes (dynamo) qui l’intéressait car ces watts heures lui permettaient de moins s’époumoner lors de la prochaine montée. Depuis, différents modèles lui ont passé entre les pieds avec, à chaque fois qu’ils étaient conçus pour remplacer une voiture, un moteur électrique aux performances éblouissantes.

Le vélomobile? A peine étais-je arrivé qu’il a voulu l’essayer. Plus de 40km quand même! C’est que l’engin lui plaît, lui a toujours plu. En construire un, c’était précisément l’un de ses rêves. Nous avons donc beaucoup discuté technique et son retour sur la course d’essai de l’Alleweder m’a été extrêmement précieux. Le carnet des améliorations s’est ainsi vu noircir de quelques lignes supplémentaires. Bon sang, déjà qu’il est fichtrement performant cet engin, que cela va-t-il donner après, une fois que nous l’aurons davantage peaufiné? Grisant.

Matthias: "Nous, soixante-huitards, imaginions vraiment un autre monde. Je suis heureux de voir que nous ne sommes pas les seuls."

Matthias: « Nous, soixante-huitards, imaginions vraiment un autre monde. Je suis heureux de voir que nous ne sommes pas les seuls. »

– Matthias, j’ai encore une dernière question. Pourquoi ça ne prend pas, cette mobilité douce, particulièrement en Suisse romande?
– Généralement parce que l’on manque de courage politique; on n’ose pas sortir le trafic motorisé de la ville, de peur de ne pas être réélu la fois d’après. Tu sais, en moyenne, il faut une génération pour qu’une idée paraissant folle au départ soit ensuite considérée comme étant la norme. Il faut donc continuer notre lutte, inlassablement, sans jamais nous arrêter car les modèles qu’idéalisent beaucoup de gens ne sont pas intelligents; pense seulement aux lourds 4×4 privés circulant en ville.
– Ok, mais pourquoi la voiture est-elle encore plus souveraine chez les Romands qu’ailleurs en Suisse?
– Hum… Parce qu’ils sont des Romains. Tu sais, c’est ce peuple qui, le premier, a ouvert la Terre pour y placer des chemins en dur. Ne dit-on d’ailleurs pas que ces derniers mènent tous à Rome? Et l’histoire nous a montré que, finalement, les Romains ne sont pas allés tellement au-delà du Rhin. Les Alémaniques sont des descendants des Celtes, une civilisation qui, elle, a très longtemps conservé un rapport étroit à la nature. A l’occasion, prends le temps d’enlacer un arbre et tu expérimenteras alors très concrètement tout ce dont nous avons parlé ensemble aujourd’hui. »

C’est promis, Matthias, je le ferai.

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Quand le vélomobile et la voiturette de Matthias croisent une baleine blanche.

Quand le vélomobile et la voiturette de Matthias croisent une baleine blanche.

Sans voiture

A l’exception d’un voyage en train, à chaque fois que j’ai dû me rendre pour le travail à La Chaux-de-Fonds, je l’ai fait en voiture. Tout simplement inimaginable pour moi, alors, de le faire autrement; c’est si loin, si isolé. Rigolo donc d’avoir fait assez facilement – moyennant certes un peu plus de temps qu’à l’habitude – le trajet depuis la maison jusqu’aux contreforts de cette ville. 82km avalés en quelques heures pour atterrir au premier bivouac, l’appartement de la famille de Vivian.

Sa smala et lui m’ont toujours fasciné. Déjà, ils sont au nombre de cinq, il y a donc pas mal de vie au sein de leur tribu. Bien sûr, je pourrais vous parler des choix faits par son épouse et lui sur le plan de l’éducation et du développement personnel de leurs enfants (méthodes de pédagogie active, cirque, etc.). C’est passionnant. En même temps, comme le but de mon voyage tient tout d’abord à la question de la mobilité, c’est une particularité, très rare en Suisse, de cette famille qui mérite l’attention ici: elle ne possède pas de voiture.

Ce choix a des conséquences importantes sur leur vie et, au premier chef, le logement. Depuis que je les connais, il ont toujours habité en ville, Bienne puis La Chaux-de-Fonds. Autant que possible, leurs trajets sont effectués à pied, à vélo ou en train. Et, quand cela n’est pas possible ainsi, ils recourent aux services d’une société d’autopartage bien connue. Là où d’autres auraient fait le choix de posséder une voire deux voitures, leur cohérence les a poussés à résider en un endroit densifié, donc bien desservi par les transports en commun, limitant de facto la nécessité de la pourtant sacro-sainte automobile.

A mon arrivée devant chez eux, gros succès pour le vélomobile!
Les enfants, des voisins, tout l’immeuble descend voir ce qui est qualifié d’avion sans ailes. L’occasion de mettre du monde dedans, de découvrir les premières questions et d’échanger quant aux différents types de mobilité des habitants de la région. Les premières cartes de visites me sont demandées. Comme imaginé, je découvre des gens qui apprécient beaucoup la pratique du vélo mais qui ont trop peur de l’accident de la circulation pour davantage y recourir au quotidien. On souhaite plus de pistes cyclables, moins de voitures. « Si seulement! » entend-je souvent. On me parle d’une rue, pas loin, qui devrait devenir exclusivement piétonnière mais on ne sait pas pour quand précisément.

Heureusement, l’espoir est là. Dans les consciences des gens rencontrés comme, le lendemain, lorsque je découvre une rue merveilleuse au détour d’une déambulation dominicale – jeudi de l’Ascension oblige – à la recherche de croissants pour remercier mes hôtes de leur fantastique accueil. Deux bandes cyclables, pas de véhicules et là – juste là, au pied de l’immeuble – la perspective du changement; une farouche envie de résister au tout à la voiture.

Le constat, simple et clair, ne va vraisemblablement que se répéter tout au long de mon voyage; tout est possible puisque les solutions sont là. Ne reste plus qu’à vouloir le changement. Ce qui est fabuleux? Le fait que nous pouvons en décider.

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Le trop-plein

Pour le départ, au niveau des ressources, j’avais mis toutes les chances de mon côté ; tout était plein à ras bord.

Les batteries tout d’abord ; 58.4V, le maximum autorisé par le chargeur. Non pas que je n’étais pas sûr d’arriver à destination mais, face à l’inconnu qui allait commencer de défiler sous mes roues, j’avais besoin de me rassurer autant que je le pouvais.

De même pour les appareils électroniques allant m’accompagner durant le voyage, plus aucun ne pouvait recevoir davantage d’énergie en réserve.

Quant à lui, le thermos voyait sa housse – magnifiquement décorée par mes enfants – humidifiée par les dernières molécules d’eau n’ayant pu rejoindre leurs copines à l’abri de la chaleur, faute de place suffisante.

Non prévue et plus débordante encore était l’émotion liée au départ. Accompagné jusqu’à la sortie de notre village par mon trio de coeur, je n’ai pu me retenir une fois que je les avais quittés. Les larmes ont roulé en aussi grand nombre que les pappus des pissenlits des champs avoisinants se sont envolés, emportés comme moi par le vent du départ.

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Mais, immédiatement, la réalité de la route s’est rappelée à mon bon souvenir. Dans la toute première descente, la découverte abrupte du comportement totalement différent de mon vélomobile lesté de tous mes bagages et l’absence de frein électrique (moteur) en raison de la quasi-surcharge des batteries ont aussitôt activé les réflexes de survie, court-circuitant l’émotionnel: « Tout doux avec la direction, serre très progressivement les freins, penche-toi à l’intérieur des virages », me dis-je. Ouf, ça a passé! Mais quelles sueurs froides!

Le phare avant et le wattmètre mesurant l’énergie en provenance du soleil ont, quant à eux, eu chaud. Trop chaud. Dans cette descente infernale, suite à une erreur de manipulation de ma part, une surtension dans le circuit électrique les a grillés instantanément. La première aventure est donc survenue quelques minutes à peine après le départ. Paraît que c’est l’expérience qui rentre.

Le jour du départ, il y a donc eu beaucoup, sur tous les plans. Communicants, tous mes différents vases se sont laissé déborder par le trop-plein général. Mais, pour la première fois, je n’ai pas lutté et me suis laissé volontairement dépasser par les événements. Après tout, les larmes sèchent vite, ma tension et celle des batteries vont baisser et la réparation des appareils cassés est d’ores et déjà planifiée.

Tout roule.

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