A l’origine, ma participation à une conférence publique de Lucien Willemin au printemps 2013. Ce dernier, auteur de l’ouvrage En voiture Simone!, prône un message très intéressant quant à comment contenir/réduire nos émissions de CO2; utiliser tous nos objets le plus longtemps possible et, de fait, veiller à les réparer plutôt que les remplacer.
On l’aura compris, c’est l’énergie grise (E-grise) qui est ici visée, soit celle qui aura été nécessaire pour produire lesdits objets et, potentiellement, qui le sera encore pour les recycler et/ou détruire. Des plus petites jusqu’aux plus imposantes, le Neuchâtelois est convaincu que la pollution de notre environnement est considérablement plus importante lors des début et fin de vie des choses que nous acquérons, cela par rapport à leur période d’utilisation effective. Partant, il recommande de « prendre soin du crayon et l’utiliser jusqu’au bout, même s’il est rouge et que la mode passe au bleu, on s’en moque! On le garde et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas encore, ils trouveront peut-être ringard aujourd’hui, mais demain ils y viendront aussi. Il en va de même pour la voiture: il s’agit d’en prendre soin et de l’utiliser jusqu’au bout! » (En voiture Simone!, Ed. Gasser, 2013).
Succès de librairie, articles de presse, émissions de télévision et de radio (divers liens ici), les propos de Lucien Willemin ont été très largement diffusés en Suisse. Et, ce qui m’a interpellé, également critiqués par la place scientifique (notamment ici) et par plusieurs personnes ayant assisté à l’une de ses présentations (là, par exemple); cela essentiellement sur son volet mobilité, soit la voiture. D’aucuns ont effectivement contesté son hypothèse voulant que le conducteur d’un ancien 4×4 polluerait moins que celui au volant d’une voiture hybride de dernière génération.
Mais alors, qui croire? A quel saint se vouer? Comment « faire juste »?
Une seule solution. Interroger les spécialistes, par exemple des ingénieurs à la pointe dans ce domaine, cela afin de faire – partiellement, au moins – la lumière sur ce qui apparaît comment étant un peu plus compliqué que la dualité triviale du noir ou blanc.
C’est ainsi qu’est née mon envie de rencontrer les gens de la société Quantis, jeune pousse de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Envie redoublée suite à la lecture d’un article du journal helvétique Le Temps (éd. du 11.03.2014), intitulé de façon provocante « L’impossible écobilan d’une automobile » et dans lequel son directeur y explique notamment les principes de l’analyse de cycle de vie (ACV) qui peut être menée pour tout objet, ou presque.
Dans le courriel que je leur adressais quelques jours avant mon grand départ, outre les questions évoquées ci-dessus, je voulais également avoir leur opinion quant à une mobilité moins dommageable pour notre environnement et, plus égoïstement, savoir si mon vélomobile faisait sens, ou non, dans la multi-modalité des moyens de transport à notre disposition. Moins d’une heure après son envoi, ma demande recevait une réponse enthousiaste de Denis Bochatay, responsable du développement des activités de Quantis en Suisse romande et personne de référence sur la plupart des projets liés à la mobilité sur lesquels ils sont appelés à se pencher. Rendez-vous est pris à Lausanne, en un lieu choisi par mon interlocuteur lui permettant à la fois de venir à pied et offrant une plateforme adéquate pour essayer ensuite le vélomobile.

Tout d’abord, que pense-t-il des propos de Lucien Willemin?
« Il a presque tout le temps raison. L’idée de limiter nos achats matérialistes et de chercher à conserver nos objets le plus longtemps possible, c’est une assez bonne ligne de conduite pour limiter notre impact sur la planète. Maintenant, cela dépend beaucoup de l’objet en question. Un exemple? Prenons le cas d’une ampoule à incandescence classique. Sa phase d’utilisation, estimée à environ 1000 heures, représente 95% de l’énergie totale qui aura été nécessaire pour la produire, l’employer et la détruire. Tu comprends aisément que si l’on en trouve une autre qui consomme nettement moins, il vaut mieux en changer plutôt que de conserver la première jusqu’à la fin de sa vie. »
Cette conversation me plaît déjà; c’est donc une problématique bien plus complexe que la réponse unique apportée par le conférencier que j’avais entendu. Bien, mais alors, qu’en est-il de la voiture? N’est-ce pas vrai qu’avec les années, elle n’a fait que prendre de l’embonpoint ? Le rapport poids/consommation ne s’est-il pas aggravé avec le temps?
« Oui et non. Les voitures ont effectivement grossi ces dernières années, même si les dernières statistiques nationales montrent que la tendance est peut-être en train de s’arrêter. Mais revenons aux propos de M. Willemin; tu auras constaté que, dans son livre, il prend l’exemple de la VW Golf GTI en démontrant qu’elle a pris 508kg pour seulement 0,7l/100km d’économie de carburant, cela en 6 générations. Or, ce n’est pas l’unique voiture qui est vendue en Suisse. Selon les seuls chiffres disponibles (source: Office Fédéral de l’Energie), il s’avère qu’en moyenne sur les 17 dernières années, la consommation du parc automobile suisse a diminué de 30% alors que le poids n’a augmenté que de 15%. Réalisons un simple calcul de poids, sorte d’ACV ultra simplifiée, avec une voiture de 1500 kg. Partons du principe qu’elle roule 200’000 km, et consomme 10l/100km (7kg/100km). Le poids total est donc 14’000 kg de carburant et 1500 kg de voiture, principalement des métaux, des textiles, de l’électronique, etc. Un facteur de 1 à 10 environ. Or, produire, transporter et brûler 1 kg de carburant a beaucoup plus d’impact environnemental que produire, transporter et recycler 0,1 kg d’un mélange de métaux, textiles et électroniques. Tout cela pour dire qu’il est souvent préférable de remplacer – et recycler ! – une vieille voiture consommant 10l/100km par une voiture neuve consommant moitié moins, même si celle-ci est un peu lourde. »
Denis est chouette, car il sait que je n’ai pas l’argent pour que sa société fasse une ACV complète de mon vélomobile – 2 à 3 jours de recherches et de calculs pour une évaluation selon 10 indicateurs – d’où cette dernière démonstration, reproductible grosso modo pour tous les véhicules. Et il n’a pas terminé: « Il faut encore savoir que, de la norme Euro3 (année 2000) à l’actuelle Euro6, certaines émissions polluantes ont été réduites jusqu’à 95% (diesel) pour les automobiles. Bien entendu, on ne peut pas forcer la petite grand-maman sans le sou à renoncer à sa voiture antédiluvienne. Mais, sinon, absolument tous les véhicules ne remplissant pas la norme Euro3 devraient être retirés immédiatement de la circulation, tant leurs émissions sont dangereuses pour notre santé. En revanche – et là, on pourrait s’entendre avec Lucien Willemin – le parc automobile remplissant la norme Euro6 devrait être usé jusqu’à la corde. »
Sa conclusion par rapport au message du Neuchâtelois? « Gare à l’idéologie. A force de vouloir faire simplissime, l’on devient simpliste, critiquable, critiqué. Le danger? En étant pris à revers en raison d’erreurs manifestes, l’ensemble de ton message peut être balayé par l’opinion publique. Et, potentiellement, cela peut décrédibiliser le mouvement écologiste. »
La mobilité de Denis? Dans Lausanne et ses alentours, quand ce n’est pas en transports publics, lui-même se déplace essentiellement à pied et à bicyclette. Il exploite à plein la multi-modalité à sa disposition; descente au travail avec un vélo qu’il a choisi pliable pour le transporter gratuitement lors du retour à son domicile via le métro, lui épargnant ainsi un déplacement lent et ardu. Son plus grand regret avec le remplacement de la célèbre « Ficelle » est justement que le nouveau métro n’ait pas été conçu comme un ascenseur à vélo: « Avec la topographie qui la caractérise, Lausanne, pour encourager la pratique du deux-roues, se doit d’offrir de véritables remonte-pentes! Les autorités publiques agissent dans le bon sens, mais beaucoup reste à faire. »
Le vélomobile? Il avait déjà très envie de l’essayer avant même de l’avoir vu. Alors, après quelques tours de roues, son sourire n’en était que plus élargi: « C’est bluffant, c’est génial! »

Ok, chic, mais cet engin fait-il sens par rapport à la voiture? « Souviens-toi du calcul grossier que je t’expliquais tout à l’heure; poids et consommation. Donc, vu que tu dis que le vélomobile pèse environ 60kg en l’état et qu’il consomme l’équivalent de 0,1l/100km, c’est bien entendu un moyen intéressant pour remplacer une voiture lorsqu’on roule en solitaire. »
Mais alors, pourquoi la sauce ne prend-elle pas? Pourquoi voit-on en Suisse encore si peu de vélos utilisés au quotidien? « Parce que, chez nous pour l’instant, ce n’est pas un moyen de transport suffisamment rapide, facile, simple et surtout sûr pour être utilisé au quotidien par tout un chacun. Outre des infrastructures y dédiées et des solutions techniques pour les montées – comme évoqué avant – il faut aussi que les vélos soient stationnés à proximité immédiate des lieux où nous vivons et où nous nous rendons. Par exemple, un local vélo facile d’accès (pas au 2e sous-sol !) ou des douches sur le lieu de travail sont des petites choses très importantes pour faciliter la pratique du vélo. Notre grand problème, qui explique notamment le très fort taux de motorisation helvétique, c’est que l’on s’est diablement habitué au confort de la voiture; son économie d’efforts physiques, sa climatisation, sa radio, etc. Il faut rendre le vélo aussi agréable et facile à utiliser que ne l’est cette dernière. »
Pour terminer, il me parle d’Amsterdam, où il a été complètement épaté – pour aller du centre de la ville à sa périphérie à vélo – de n’avoir eu à poser le pied au sol que quelques rares fois. Il me propose de faire l’essai dans n’importe quelle ville en Suisse pour réaliser les différents niveaux de priorité qui sont donnés à ce mode de transport entre ces deux pays.
Oui, il me faut aller la voir cette ville si souvent citée en exemple. L’expérimenter concrètement, mettre des images sur les descriptions que l’on m’en a si souvent faites. Cela tombe bien, c’est justement prévu pour le mois de juillet. Je m’en réjouis déjà, ce d’autant plus que l’expérience se fera en famille, enfin réunie grâce à la pause scolaire estivale. Fantastique.