Retour sur les bancs de l’école
Rendez-vous avait été pris le 18 mai dernier avec Jean-François Affolter, professeur à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD), en Suisse. Ce matin-là, il avait justement accordé un peu de temps à ses étudiants pour échanger avec moi autour du vélomobile. Ce dernier ainsi qu’une voiture électrique de marque allemande – présente, elle, dans le cadre d’un partenariat avec une fête de l’école – étaient donc à la disposition de ces futurs ingénieurs pour être testés. J’appréhendais un peu l’exercice car impressionné par le contexte et les compétences pour le moins pointues des jeunes que j’étais sur le point de rencontrer. Quelles allaient être leurs réactions? Avions-nous, mon ingénieur et moi, fait les bons choix? Le projet était-il aussi pertinent que je l’espérais?
Une dizaine d’entre eux ont essayé l’Alleweder et m’ont offert à chaque fois un retour extrêmement pointu sur leur expérience, le tout avec une bienveillance infinie en raison de mon statut de novice quant aux domaines de compétences qui sont les leurs. Ils ont immédiatement détecté les défauts de jeunesse (paramètres de l’assistance électrique), indiqué les améliorations qu’ils imaginaient utiles (siège coulissant et guidon plus large, notamment) et listé les points forts de l’engin (surtout le plaisir à le conduire, son originalité, ses performances, son confort et la protection qu’il offre contre les intempéries). Oui, à voir leur enthousiasme au sortir du vélomobile, ce dernier a désormais quelques fans supplémentaires.
Evidemment, les performances de la voiture électrique ne les ont pas laissés de marbre non plus. Surtout sur le plan de l’accélération – expérience faite – tout bonnement époustouflante. Je profite d’ailleurs d’être le passager de Jean-François pour lui poser mes premières questions, un dialogue que nous terminerons ensuite autour d’un café.
Tout d’abord, que lui a inspiré l’essai de cette voiture survoltée?
« Sur le podium, je place le silence, l’accélération et, enfin, la régénération lors du freinage. Le tout est franchement bluffant. Tu sais, les véhicules électriques sont, de façon générale, extrêmement intéressants, cela en raison du rendement faramineux de leur moteur, avoisinant les 90%. Quand tu confrontes cette technologie avec les 20% (essence) ou 30% (diesel) de rendement des moteurs thermiques, la comparaison est cruelle. »
Je lui fais remarquer que le prix de ce bolide est lui aussi extraordinaire, avoisinant – selon les options retenues – les CHF 60’000.- au bas mot. Il abonde : « Oui, c’est vrai. Et n’oublie pas que le modèle que nous avons testé n’offre qu’environ 130km d’autonomie, ce qui effraie aussi beaucoup de clients potentiels. Maintenant, sachant que la moyenne suisse des distances journalières pour nos déplacements tourne autour des 40km, ce rayon d’action suffit tout de même pour 3 jours sans devoir nécessiter une quelconque recharge. »
Elargissant les perspectives, il poursuit: « Ce qui a le plus d’influence sur la consommation, hormis la vitesse, c’est la masse déplacée et les frottements que subit cette dernière. Donc, de toute façon, même si cette voiture est sur le bon chemin, elle n’est pas la bonne réponse car encore beaucoup trop lourde pour mouvoir souvent une seule personne à la fois. Maintenant, cela ne nous empêche pas d’agir aujourd’hui déjà. En effet, aussitôt que l’on doit se déplacer absolument en voiture, on peut sans difficulté aucune partir suffisamment à l’avance afin de pouvoir rouler plus lentement que si l’on devait le faire en étant pressé par le temps. J’ai fait l’expérience avec ma voiture (diesel) à plusieurs reprises sur l’autoroute; rouler à 115km/h au lieu de 120km/h me permet de voir ma consommation passer de 5,7l à 4,8l aux 100km. On parle donc de presque 1l/100km en moins pour une différence de seulement 5km/h! Maintenant, si l’on peut même supprimer les 4,8l… »
Que pense-t-il de l’idée de brûler à un seul endroit, pour en faire de l’électricité, tout le carburant consommé de façon parcellaire dans chaque véhicule motorisé? Il réfléchit rapidement, pose quelques chiffres sur la table et arrive à la conclusion suivante: « C’est tout sauf bête car une centrale thermique à cycle combiné permet de produire de l’électricité avec environ 60% de rendement. En comptant diverses pertes, retenons un 40% au final. Eh bien, on ferait donc tout simplement deux fois plus de km avec des voitures électriques alimentées ainsi plutôt que par des moteurs à essence individuels. Et cela sans compter les gains conséquents que l’on ferait de cette façon pour la planète en centralisant le lieu de pollution, donc en pouvant y piéger considérablement mieux les émissions nocives. »
Mais il tempère aussitôt: « Bon, si c’est pour faire deux fois plus de kilomètres ensuite, tout cela n’aura servi à rien. Tu sais, cela sonne un peu vieux réac’ de dire ça mais quand j’allais, dans ma jeunesse, trouver mes grands-parents, ils n’avaient pas tout ce que l’on possède aujourd’hui et ils ne me semblaient pas moins heureux. Dans les années ’60, nous étions dans les clous d’une société à 2000W. Aujourd’hui, toujours en Suisse, nous en sommes à 6000, et même 8000W si l’on tient compte de l’énergie grise que nous délocalisons en Chine. Et les USA, eux, oscillent actuellement entre 12’000 et 16’000W.
A qui la faute, alors? « Economiquement, nous sommes prisonniers de la croissance. Il faudrait un changement de paradigme; non seulement que nous réduisions notre consommation d’énergie mais que nous limitions même nos besoins. Or, par exemple, l’on refuse de voir la fin du pétrole. Prétendre que nous devons acheter moins, c’est prendre le risque d’être stigmatisé comme un tueur d’emploi. Quel politicien aura-t-il le courage de dire tout cela? Je suis inquiet quant à la tournure des événements quand j’entends par exemple – mais sans avoir pu vérifier la source – que la moitié du prix d’une voiture de CHF 60’000.- est dépensé en marketing. Ce serait la preuve irréfutable que nous possédons déjà tout ce dont nous avons besoin, et ce depuis longtemps déjà. Et, à toujours vouloir évoluer sur le plan technologique – pense seulement aux téléphones portables – l’humain risque d’y perdre et de ne voir se développer qu’une société idiote, incapable de regarder dehors plutôt qu’un écran.»
Cette discussion est passionnante; je suis venu voir un ingénieur et j’écoute un philosophe. D’ailleurs pourquoi avoir choisi cette filière technique? « J’ai suivi une formation en ingénierie dans l’idée de remplacer l’homme par des machines afin de permettre au premier d’avoir plus de temps libre à sa disposition, notamment pour qu’il soit plus souvent en vacances. Mon but était que nous soyons payés par les machines et non pas foutus à la porte par elles. In fine, tout le problème vient de la répartition du profit, scandaleusement inégal. »
Face à ce constat, comment tient-il le coup? Quel domaine représente, à ses yeux, la lumière au bout du tunnel?
« Sans hésitation aucune, le solaire! En Suisse, chaque année et pour chaque mètre carré de panneaux photovoltaïques (PV), notre astre nous envoie l’équivalent en énergie de 17l d’essence. Alors imagine ce que cela peut donner dans les innombrables régions aux conditions bien plus favorables encore. L’efficacité, par photosynthèse de la biomasse équivaut à environ 1,5%. Le solaire PV en est à 10 fois plus. Et, à occupation équivalente des surfaces de la Terre, la pose de panneaux solaires produisant de l’énergie pour des véhicules électriques permet de rouler 20 fois plus de kilomètres que des champs produisant, par biomasse, du carburant pour des voitures à moteur thermique. La mise en réseau des batteries ainsi qu’un maillage électrique « intelligent » (smart grid) permettraient d’améliorer l’efficacité énergétique dans des proportions significatives. Ce qui est fou, c’est qu’aux yeux de plusieurs, le solaire n’est simplement pas assez beau pour avoir envie d’en poser ; il est victime de son look. Mais comment se peut-il que l’on accorde autant d’importance au paraître? Même si le solaire devait être laid, ce qui reste encore à prouver, l’on doit parfois sacrifier la beauté pour l’efficacité. »